TROISIÈME AUTOBIOGRAPHIE - 2016 - DE 1969 A 2008
« 1969. année érotique… » Serge Gainsbourg. « On est en 1969 ? Okay (…). C’est une nouvelle année qui commence pour toi et moi. Une autre année, avec rien à faire. » 6 mois après ma naissance, mes parents s'installent en Normandie pour ouvrir un café-restaurant. C'est donc un petit village normand, le Molay-Littry, qui est le berceau de mon enfance. C'est mon père qui me donne l'envie de tenir une caméra. Comme de nombreux papas, il tourne une sorte de chronique familiale à l'aide d'une caméra 8 mm. Très vite, je suis marqué par la magie des séances de projection des films de famille qui donne l'impression aux Lange d'être une famille heureuse et unie. Parfois, alors que j'ai école le lendemain, mon père vient me réveiller dans ma chambre pour me faire assister aux séances de minuit. Dès ma plus tendre enfance, je découvre à la télé des chefs-d’œuvre du cinéma qui resteront à jamais gravés dans sa mémoire : Le magicien d'Oz, Freaks, Chantons sous la pluie... Souvent, mon père emmène sa petite famille au cinéma de Bayeux pour voir des films de science-fiction... son genre de prédilection. C'est dans ce cinéma-là que je connais mes premiers chocs cinématographiques : King Kong, Star Wars, Rencontres du troisième type, Star Trek... Parfois, la famille n'est pas d'accord sur le choix du film. Quelquefois, ma mère et ma sœur Thérèse, plus âgée de quatre ans, vont voir un film sans mon père... mais avec moi. C'est ainsi que je me retrouve à voir Tess de Polanski, des films qui sortent de mon univers SF... Lors de vacances scolaires je rends visite à ma grand-mère qui habite Clichy. Celle-ci, outre les visites de musées et monuments parisiens, entraine son petit-fils dans les salles obscures. Parfois je passe des après-midis entiers à regarder plusieurs fois le même film que j'ai choisi d'après la rubrique science-fiction de L'Officiel des spectacles. Le soir, je m’évertue à faire revivre sous forme de dessins mes coups de cœur cinématographiques… Toute mon enfance, j’ai beaucoup dessiné. Ma mère garde avec beaucoup de fierté un dessin de 1975 qui représente, selon elle, une perspective assez exceptionnelle pour un enfant de 6 ans. Elle raconte que j'ai « fait beaucoup de bandes dessinées de toutes sortes, des dessins morbides. » Souvent, dans mes dessins, des explosions, des mondes futuristes effrayants et la couleur rouge : le sang, synonyme d'écorché vif… Un jour de 1974, à la sortie de l'église de mon village, après avoir acheté chez le fleuriste une rose pour notre maman, Thérèse et moi passons devant la pharmacie. On s'arrête car on est intrigués par un attroupement près d'une ambulance. Quand les gens s'écartent de l'ambulance pour laisser passer deux hommes en blanc qui porte un brancard, je découvre, allongée sur le brancard, une femme dont la peau du visage a été arrachée. Les os du crâne sont visibles par endroit comme sur une tête de lapin écorché. Ma sœur met instinctivement sa main devant les yeux de son petit frère mais j'arrache sa main. Je veux voir. Le spectacle ensanglanté est un choc pour moi. Je m'évanouis. Désormais, dans mon imaginaire et mon inconscient, le rouge sang et l'intérieur du corps vont rester des éléments déterminants... Petit à petit, dans un cahier, je constitue une liste de mes films préférés. J'aime beaucoup écrire les textes libres que mon institutrice me demande de rédiger dans mon cahier de français de classe. "Samedi 11 décembre. La classe est jaune. Le vendredi on va au sport. On a une bibliothèque où on choisit des livres toute les semaines. On a des cahiers de calculs, de français, de récitations et d'observation." "Texte libre. Samedi 15 janvier. Quand je serai grand, je serai dessinateur industriel. J'ai choisi ce métier parce que j'aime bien dessiner. Je dessinerai des plans de maisons et des plans de machine." "Texte libre. Samedi 26 février. S'il fallait te transformer en animal, quel animal voudrais-tu être ? S'il fallait me changer en animal, je voudrais être un gorille, parce qu'il est méchant. Les hommes ne peut pas s'approcher de lui." Sans le savoir j'écris ainsi une sorte de carnet intime. Une tradition purement familiale. Ma mère raconte : "J'écrivais beaucoup, de vers, de poèmes suivant les événements : un mariage, un chagrin, quelque chose qui se passait d'important..." Ma mère fait de la poésie et ma sœur écrit depuis bien longtemps son journal tous les soirs, coûte que coûte : si elle n'a pas fini son compte-rendu journalier après que son père lui a dit qu'il fallait éteindre la lumière, elle continue, cachée sous ses draps, éclairée par une lampe de poche. Dans son nom journal intime, elle parle de moi assez souvent. La première fois, c'est à l'occasion de notre anniversaire de 1975, notre anniversaire qu'on fête en même temps puisqu'on est nés à quatre ans d'intervalle : moi le 4 février 1969 et elle le 5 février 1965... "5 février 1975.Rémi et moi on a fêté notre anniversaire. Il a invité ses copains à lui et moi j'ai invité mes copains à moi." Je joue souvent avec mon Action Joe et avec son Homme qui valait trois milliards. Mon imaginaire est nourri également par des séries télévisées comme Cosmos 99, La petite maison dans la prairie . J'adore mon Action Joe. C'était mon héros. Je le manipulais dans tous les sens, le déshabillais, regardais ses membres un à un avec fascination et je me disais : "qu'est-ce qu'il est beau !" Je passais des heures entières à admirer son joli slip bleu. Parfois je touchais de mon index droit la grosse bosse protubérante sur ce joli slip. Le seul ennui, c’était qu'il était impossible d'enlever le joli slip bleu, il était incrusté, moulé dans l'Action Joe. Mais il y avait d'autres slips... Dans les toilettes, je feuilletais les catalogues des 3 Suisses ou de La Redoute. Aucun membre de ma famille n'a remarqué que j'étais attiré par des sexes d'hommes. Quand Thérèse parlait de moi dans son journal intime, c'était pour me décrire comme un petit garçon effacé, tranquille, intéressé par les jeux classiques des enfants de son âge...
"19 AVRIL 1978. Rémi et moi nous avons fait un coin-jardin où nous avons planté des fleurs. Un poussin est né. Nous vivons dans l'attente qu'il y en ait d'autres. DIMANCHE 11 JUIN 1978 Ce matin Rémi a pris le hamster sur ses genoux. Tout d'un coup, il a dit : " Ah maman, ça y est, il m'a fait un petit sur moi ! " En effet, il y avait le hamster et un petit qui était encore attaché au cordon ombilical. LUNDI 12 JUIN : Je suis allée au cirque avec Rémi, je suis allée sur la piste pour montrer mes talents. Enfin c'est le présentateur qui m'a choisie. MERCREDI 14 JUIN 1978 : Nous avons été à Caen au Carrefour. Nous avons acheté un appareil photo pour Rémi à 48 F car il passe en CM1. Moi je passe en troisième. Ensuite nous sommes allés au Supermonde. Maman s'est acheté une jupe kaki. Papa un flash électronique. Mardi 4 JUILLET 1978 : Vraiment il fait un temps exécrable. Rémi passe l'aspirateur. Il est énervant. On lui demande de faire quelque chose, il ne veut jamais le faire mais il veut gagner de l'argent. Nous sommes allés chez Colette et Noël, Rémi et moi, mais Colette n'était pas chez elle. Nous avons fait des jeux. VENDREDI 8 JUIN 1979. Nous avons été à la réunion pour Bovey-Tracey, en Angleterre. J'y vais avec Rémi, au mois de juillet 6 jours. Rémi est revenu du voyage scolaire, il m'a ramené un coquillage du Mont Saint-Michel. Rémi et moi nous avons gagné un lapin à la kermesse. Comme je demandais dans la voiture à Rémi comment il l'appellerait, il m'a dit qu'il le nommerait "Arsène". Je lui ai demandé pourquoi. Parce que "Arsène Lapin". Je me demande où il est allé chercher ce jeu de mots... DIMANCHE 13 MAI. Je me suis battue avec Rémi. Je l'ai griffé juste sous l'œil et il a la marque. Sur le coup j'étais en colère, mais après j'avais des remords, je l'ai embrassé." Thérèse aujourd'hui, raconte : "Il était très coléreux. Il n'aimait pas qu'on touche à ses affaires. On n'arrêtait pas de se taper dessus. On se chamaillait souvent parce qu'il était souvent capricieux. On avait 4 ans de différence. Il était isolé dans son coin avec ses jeux, solitaire et moi je me réfugiais dans mon coin." J'admirais ma sœur, surtout sa capacité à écrire facilement. Je pensais que moi je ne pouvais pas écrire aussi bien qu'elle. Mais le mercredi 5 novembre 1980, à l'âge de 11 ans, je passe à l'acte. Je commence moi aussi un journal intime. "Quand je me suis levé, vers 9h, j'ai pensé que les auto-tamponneuses seraient ouvertes. Je suis donc descendu après avoir donné à manger à mes tortues. En descendant, j'ai vu un petit chat, sans doute le petit frère de Caramel." Vite lassé par un compte-rendu journalier astreignant, j'abandonne la pratique du journal intime. Mais le 6 décembre 1980, je ne récidive, car je commence à comprendre la raison qui me pousse à écrire ma vie.... "Ce soir, j'ai décidé de recommencer le journal parce que ce sera curieux et drôle de relire ma vie de maintenant quand je serai adulte. Et puis je croyais que chaque jour il ne se passe rien mais ce n'est pas vrai : chaque jour, on a toujours quelque chose qui nous marque, c'est comme si on vivait une vie entière..."
A la fin de l'année 1981, mon père achète un magnétoscope VHS. Il est énorme, l'image n'est pas très nette, mais il me permet néanmoins de louer des dizaines de films bizarres, des films d'horreur que, grand amateur de Stephen King depuis la lecture de Shining en 1980, j'affectionne particulièrement : Massacre à la tronçonneuse, Scanners, L’au-delà, L'exorciste, Zombie... Parallèlement, mon père inscrit toute sa petite famille à un ciné-club du fameux cinéma de Bayeux. Grâce à ce ciné-club, je découvre des films qui sont normalement interdit aux moins de 13 ou 18 ans : Carrie, Scum... Des films qui font découvrir la violence des rapports humains. Je deviens un inconditionnel du "gore". Je me mets à acheter la revue Mad Movies chaque mois, y découvre les moyens de fabriquer moi-même mes propres monstres et masques en latex. Je veux devenir maquilleur.
En 1981, mon père loue un film qui ne m'inspire pas : Les uns et les autres de Claude Lelouch. Mais à la vision de ce film, mon cœur bat très fort et, pour une fois, ce n'est pas à cause de l'émotion suscitée par la vue du sang ou de l'intérieur du corps humain... Je me mets alors à aimer le cinéma d'auteur. Un jour mon père, en allant en balade, perd un morceau de sa caméra 8 mm. Il ne cherchera pas à le remplacer ; va savoir pourquoi. C’est fini, plus jamais il ne cherchera à filmer sa famille. Sans doute pense-t-il que nous sommes devenus grands et que la magie de notre enfance n’opère plus, qu’elle n’a donc plus intérêt à être immortalisée…
En 1983 ma sœur passe son bac avec succès. Elle reçoit en cadeau des mains de mon père une superbe caméra. Super 8. Elle prend le relais de mon père et se met à filmer notre vie familiale, mais aussi sa vie à elle, ses copains, sa bande de potes qui devient celle de mon père… On se réfugie tous dans le grenier d’une petite maison qui jouxte la notre… Ma sœur filme aussi les balades en Normandie…
Débarrassé des sphères lointaines des effets spéciaux en tous genres depuis la vision du film de Lelouch, convaincu qu’on peut faire un film avec une simple caméra, qu’elle soit en Super 8 ou en 35 mm, le cinéma me semble alors être une voie possible, à portée de main... C'est décidé, je serai réalisateur. Je me mets à écrire des bouts d’histoires... En quatrième, ma prof de Français nous donne souvent comme sujet : "écrivez la suite du texte." S'inspirant d'Edgar Allan Poe ou de livres comme 2001 l'Odyssée de l'espace, je m'en donne à cœur joie. Mon imagination étant débordante, mes rédactions sont souvent trop longues mais les notes sont très bonnes. Un jour, ma prof vient le voir à la fin d'un cours et me dit : "tu sais, en relisant ta rédaction, j'ai pensé que tu étais un grand écrivain." Très timide et replié sur mon imaginaire, je deviens vite l'intello de la classe, un peu coincé, voire un peu efféminé. Bref, je deviens le bouc émissaire de mes camarades de classe, comme Carrie... Qu'importe, je trouve des interlocuteurs ailleurs, dans le monde du cinéma... Un jour de 1984, j'envoie une lettre à la revue Mad Movies : "la rubrique du ciné fan démontre parfaitement l'originalité de votre magazine et contentera de nombreux cinéastes amateurs. En prenant pour sujet les masques en latex, vous leur résolvez quelques problèmes techniques non négligeables. Connaissant le latex grâce à votre numéro 22, ce liquide miracle m'a déjà permis de réaliser quelques monstres qui - j'espère - figureront dans un de mes prochains films. De même, en réponse à vos suggestions, j'aimerais que les photos que je vous joins figurent dans votre prochain numéro." Ainsi dans le courrier des lecteurs du numéro 32 de septembre 1984 sont publiés non seulement ma lettre mais aussi des photos de mon cadavre en latex. Des photos prises par mon père... Je ne réalise aucun film à cette époque, contrairement à ce que pouvait laisser penser ma lettre. Je n'ai à ma disposition que la caméra 8 mm de mon père mais cette caméra vient de tomber en panne... Alors je m'invente un ami qui devient mon plus intime confident : mon cher journal. Chaque soir, pour recueillir mes malheurs, mes brimades, mes vexations, de 1981 à 1984, alors au collège, je noircis les pages de 5 cahiers d'écolier, essayant de magnifier mon existence en écrivant, essayant de faire de chaque tranche de ma vie un roman, un "vrai livre" comme je le dis moi-même : "3 septembre 1983. Voilà mon premier livre s'arrête et s'achève là. Espérons que j'aurai le courage de continuer car il y a encore des moments inoubliables qui m'attendent et, pour qu'ils soient plus mémorables - les souvenirs arrivent à s'effriter - je les raconterai dans mes prochains journaux." Le courage ne m'a pas suivi ou plutôt le temps... De 1985 à 1991, accaparé par les études que je ne veux pas négliger au profit d'une improbable carrière artistique, j'abandonne mon très cher journal. En 1986, je m'achète une caméra VHS pour apprendre à filmer... en attendant le jour où je pourrai enfin réaliser mon premier film de fiction en tant que réalisateur. Prenant le relais de ma sœur qui a abandonné sa caméra Super 8, je filme mes proches... Je commence à filmer les événements heureux de ma vie, à l'intérieur de ma famille... Mais je mets aussi à filmer des moments plus ou moins ordinaires, pas forcément heureux : des moments que je partage avec mon premier amant, un copain de lycée, je filme aussi le tournage d'un film en Super 8 que réalise un ami de fac. Petit à petit, je m'éloigne des films de famille où baigne un bonheur institutionnalisé... Mais je n'ai aucune conscience artistique de ce que je fais. Sans le savoir, je réalise un journal intime avec ma grosse caméra VHS... même s'il je m'y dévoile très peu.
Au lycée, je m’inscris à un court de théâtre d’une MJC de Chartres… Je joue plusieurs rôles de « pour lire sous la douche » de Cami, dont celui d‘un trisomique et j’incarne aussi une porte qui jouit. Je commence à sortir de ma bulle, à m’extérioriser, à m’ouvrir aux autres…
En mars 1990, à Tours, où je me suis installé pour suivre des études d'anglais à la fac, je rencontre Antoine Parlebas qui me fait découvrir l'art en général et qui devient vite ma muse, ma source de références, mon puits de sciences où je viens m'abreuver, ma conscience artistique, mon Jiminy Criket... Antoine, qui poursuit alors des études d'égyptologie, enseigne à l'école des Beaux-Arts de Tours. Il a 27 ans. Je l’aime. Mais je garde cet amour secret… Je suis encore un petit garçon coincé, qui vit dans ca bulle, qui ne parle pas… En décembre 1990, après avoir vu L'aurore de Murnau, je décide de stopper un peu mes études et d'écrire sur deux années mon mémoire d'anglais sur Terry Gilliam (que je dédie amoureusement à Antoine) pour me consacrer à l'écriture de mon premier scénario intitulé Nez-de-pied. L'histoire est assez folle... Un homme emmène son fils au cinéma. Pendant la projection, les personnages du film dans le film se révoltent contre le cinéma industriel et entrent dans la salle de cinéma. Ce film, je veux absolument le réaliser en 16 ou 35 mm. J'essaie de rattraper le temps perdu donné aux études... Je prends le train, vais à Paris, à la coopérative du court-métrage, essuie de nombreux refus, essaie de trouver un véritable producteur... En vain. Le 11 juillet 1991, j'inscris mon scénario au concours de films organisé par l'Atelier-de-production Centre-Val-de-Loire(région Centre) et obtiens le deuxième prix. Par ailleurs, je reçois une bourse Culture Action . En décembre 1991, tenaillé par la peur d'attraper le sida et de mourir avant d'avoir laissé une trace de moi sur terre - le frère de mon meilleur copain de lycée venait de mourir du sida et je venais de lire les derniers livres d'Hervé Guibert, A l'ami qui ne m'a pas sauvé la vie et aussi Mes parents - je me mets à enregistrer d'une façon ou d'une autre ce qui m'arrive... Je prends un cahier et un stylo, recommence un nouveau journal écrit. Je choisis cependant un matériau alors inconnu pour moi afin de capter au plus près cette réalité que je ne veux plus voir couler entre mes doigts : le son. Par l'intermédiaire de mon répondeur branché sur sa chaîne hifi, j'enregistre mes conversations téléphoniques... Mon journal intime est alors constitué de deux matériaux : l'écriture et l'enregistrement des voix. Il y a d'un côté le journal écrit et de l'autre le journal sonore. Un jour de janvier 1992, désirant m'attaquer à la texture d'une image de cinéma, j'achète au photographe d'en bas de chez moi une vieille caméra Super 8 sonore. Dans les mois qui suivent, sous l'influence d'Antoine, je me mets à lire de nombreux livres sur le cinéma expérimental mais aussi sur l'art contemporain. Je découvre l'art corporel, les œuvres de Michel Journiac (que je finirai par rencontrer et filmer en 1994, on le voit dans mon film Les yeux brouillés) et de Gina Pane, puis le travail photobiographique de Sophie Calle et de Christian Boltanski. Mais les œuvres qui m'intéressent sont difficiles d'accès, il est presque impossible de les voir, je ne peux les découvrir que par des articles dans les journaux de cinéma intellos, ou dans des livres sur le cinéma... En janvier 1992, la diffusion à la télé du film d'Hervé Guibert La pudeur ou l'impudeur est un choc pour moi... La vision du corps squelettique du corps de Hervé Guibert que j'admirais tant me presse à agir vite... Je sais que, tôt ou tard, je vais entreprendre de faire de ma vie non plus un livre mais un vrai film... Une intuition qui sera confirmée par la vision d'un autre journal intime lui aussi diffusé à la télé : Silverlake life a view from here, où un homme filme en direct la mort de son amant. En juin 1992, je reçois une bourse Défi-Jeunes pour réaliser mon scénario Nez-de-pied. Mais la réalisation de ce film de fiction est alors à des années-lumières de mes préoccupations... De plus, la somme récoltée au bout de deux ans de recherches, 25000 francs, est loin de me permettre de réaliser mon film en 16 ou 35 mm.
En novembre 1992, à la Galerie du Jeu de Paume, l’exposition Désordres mefait découvrir trois œuvres d'artistes qui vont rester à jamais gravées dans ma mémoire...Vanitas : flesh dress for an albino anorexique (1987), la robe en viande conçue par Yana Sterbak (et qui sera un modèle d'inspiration pour la fameuse robe de Lady Gaga) me donne envie de montrer ma chair à vif... Mais c'est surtout la vision de Walden (1969), le premier journal filmé de Jonas Mekas, et de The Ballad of sexual dependency (1982-1992), un diaporama de Nan Goldin, qui me donne réellement envie de reconstruire ma vie à travers l'histoire de l'autre, du vécu de l'autre... Dans la deuxième moitié de l'année 1992, je découvre l'existence de Joseph Morder, un cinéaste français qui réalise un journal filmé en Super 8 depuis 1967. Je prends alors la décision ferme et définitive d'abandonner mon projet de film de fiction en 16 ou 35 mm, trop classique à mes yeux, et d'inventer une nouvelle forme de journal filmé... Je veux me distinguer des autres diaristes. Je ne veux pas d'une simple juxtaposition-fleuve de morceaux de vie quotidienne sans queue ni tête, je veux un film-journal qui ressemble aux films industriels que les spectateurs vont voir au cinéma. Je ne veux pas d'une poésie molle et ennuyeuse, je veux de l'action, des tripes... Si ce n'est pas un film d'horreur, ce sera au moins un thriller avec beaucoup de violence... Pas de la violence physique, mais de la violence psychologique. Je décide d'associer à deux précédents journaux, l'écrit et le sonore, un troisième journal : le journal filmé. Débarrassé de mon mémoire de maîtrise d'Anglais sur Terry Gilliam (qui vient de recevoir une mention très bien), je passe à l'acte le mardi 2 mars 1993. Ce jour-là, je mets une cartouche Super 8 sonore dans le ventre de sa caméra et donne naissance à ce qui va devenir les premières images de mon journal filmé. J'écris, dans mon autobiographie publiée en 2000 : "si j'écrivais mon journal intime, si j'ai enregistré mes conversations téléphoniques, c'était avant tout pour moi, pour occuper mon temps, pour laisser une trace de moi, pour faire quelque chose de ma vie, comme beaucoup de diaristes d'ailleurs. Mais dès le moment où j'ai pris ma caméra Super 8 pour filmer ma vie, j'ai voulu que mes images soient projetées et diffusées au grand public. Dès le départ, je faisais mon journal filmé dans l'optique que les images soient un jour diffusées à une grande échelle." A partir de ces trois journaux, le journal filmé, le journal écrit, le journal sonore je vais réaliser mes deux premiers longs métrages Omeletteen 1993 et Les yeux brouillés en 1994. Voilà comment je suis entré dans le cinéma, à faire mon premier film...
Le dessin, l’écriture, le maquillage, la comédie… Finalement c’est le cinéma qui a pris le dessus et qui m’a permis de me réaliser. Depuis toujours j’ai essayé de fuir la réalité… Les films de famille de mon père peuvent donner l’impression que j’ai vécu une enfance heureuse. Or il n’en fut rien. Je ne savais pas d’où ça venait mais ma vie très tôt m’a semblé absurde. J’étais angoissé de vivre. Mes parents ne semblaient pas vivre le parfait amour. Je ne comprenais pas pourquoi ils s’étaient mariés et avaient fait des enfants. Surtout, je ne comprenais pas pourquoi ils m’avaient fait moi… Ma mère a souffert d’un manque d’amour peu après son mariage. Mon père ne semblait pas lui témoigner d’un quelconque intérêt. Il entretenait une relation forte avec ma sœur. Un jour elle m’a écrit une lettre sur le pourquoi de ma conception… C’est elle qui a voulu que j’existe, et elle seule. A la maison, il y avait deux clans. Mon père et ma sœur, ma mère et moi. Ma mère a toujours eu le sentiment d’être abandonnée. D’abord par son père, mort d’un cancer pendant la seconde guerre mondiale. Puis pas sa mère, ma seule et unique grand-mère, qui l’a très tôt mise en pension. Ma mère m’a raconté plusieurs fois que dans sa pension de bonnes sœurs, quand les vacances arrivaient, elle regardait partir ses camarades avec ses parents et elle restait dans sa pension. Ensuite mon père, je ne savais pas pourquoi, l’a vite délaissée… Mon cousin Guy et sa mère Andrée, ma tante, la sœur de mon père, venait souvent passer des vacances en Normandie, chez nous donc… Mon père s’amusait plus avec les copains de Guy qu’avec nous… comme si sa vie était là, avec des jeunes hommes, qui écoutaient Pink Floyd, qui étaient fan de moto, de pétards… Mes parents s’engueulaient souvent. Ma mère pleurait souvent, toujours discrètement. Quand je la surprenais, je ne comprenais pas son désarroi, la cause de son chagrin, de son mal-être. Pour fuir, elle écrivait ses poèmes, c’était son exutoire à elle… Pour fuir, elle me cajolait, me donnait des câlins, m’achetait ce que je voulais, me comblait de cadeaux, ce qui énervait mon père au plus haut point… pour fuir aussi sa réalité, elle prenait des somnifères… J’ai hérité de son mal-être. De sa facilité à absorber des médocs pour fuir la réalité aussi. Dans ma chambre d’enfant, je me souviens de la menace de la porte du grenier qui me narguait une fois que j’étais dans mon lit. J’avais peur d’éteindre la lumière et j’imaginais dans le noir que cette porte allait s’ouvrir. Je faisais des cauchemars qui me réveillaient en sursaut. Je voyais des formes flotter au dessus de mon lit. Je ne savais plus si j’avais rêvé ou si ces formes étaient bel et bien apparues au dessus de ma tête… Je me le vais et j’allais me réconforter auprès de mes parents, en me blottissant entre eux deux au cœur de la nuit. Mais le sommeil devenant difficile pour eux, ma mère m’a très tôt donné du Téralène, un somnifère pour enfants. Après je suis devenu addictif à ce genre de médicaments. Aujourd’hui encore je ne peux m’endormir sans somnifère. Ce n’est qu’en tournant Omelette que j’ai compris la source du mal-être de ma mère… Extrait d’Omelette où ma mère annonce que mon père est homosexuel… tout d’un coup les choses s’éclaircissent et je comprends mieux le mal-être entre mon père et ma mère… Extrait d’omelette où je raconte avec des images du passé que mon père me rejette et réalise à travers moi son propre désir pour les garçons qu’il refoule…
Omelette est projeté pour la première fois le 12 décembre 1993 au café Le Café de Tours. La première projection dans une salle de cinéma au studio de Tours est remarquée par Michel Cressole, un ami d'un ami d'un ami, qui écrit dans le Libération du 31 janvier 1994 : "à ne pas manquer : Omelette du jeune Rémi Lange. C'est du Rimbaud en super 8." J'envoie mon film à deux personnes qui me permettent rapidement de me faire connaître : Yann Beauvais d'abord, qui projette mon film au cinéma L'Entrepôt à Paris le 17 mai 1994, et Alain Burosse qui travaille alors aux programmes courts de Canal Plus, et qui me propose de réaliser une version courte de Omelette pour son émission L'œil du cyclone. Ce petit film de vingt-quatre minutes est diffusé le 17 décembre 1994 en clair sous le titre Les anges dans nos campagnes.
Très vite, une copie Super 8 d'Omelette payée par les copains de Tours, Philippe Alain, Guy, Guillemette, circule dans les institutions culturelles. Le film devient petit à petit l'une des références de la jeune production expérimentale française. Il est montré, comme le note alors Les Inrockuptibles, dans la plupart des lieux indépendants. Il obtient le Prix du public au 8èmes Rencontres du cinéma indépendant de Châteauroux en 1994. Omelette devient également l'une des références majeures du cinéma gay français, balbutiant alors... Les associations homosexuelles s'intéressent très vite au film, m'invitant à participer à des rencontres avec le public à l'issue de chaque projection. Le film ne passe pas inaperçu... Gérard Lefort, dans Libération du 19 novembre 1994, écrit : "A Lille, l'important festival de films gays et lesbiens Questions de genre renferme au moins deux merveilles : d'une part Le chien amoureux Joseph Morder et d'autre part - attention les yeux - Omelette du jeune Rémi Lange... La rencontre bas-les- masques avec la mère constitue un sommet du genre. Sous le coup de l'émotion, le poids de la caméra se met à trembler sur les épaules du réalisateur et soudain c'est l'image qui frissonne..."
Grâce à la notoriété acquise par les multiples projections et surtout par la diffusion de la version courte sur Canal Plus, je peux maintenant envisager de trouver un distributeur dans le circuit art-et-essai pour une sortie nationale. Mais pour cela, il faut gonfler le film en 16 ou 35 mm... Une opération très coûteuse en 1996. Par chance, je reçois une commande de l'équipe de L'œil du cyclone : réaliser un film sur le Super 8 en Super 8. Le court-métrage Le Super 8 n'est pas mort, il bande encore ! est diffusé en juin 1996 en clair. Grâce à l'argent que je viens de gagner, je réalise enfin le gonflage d'Omelette qui peut alors sortir en salles. Fin 1997, je signe un contrat de distribution avec Gérard Vaugeois des Films de l'Atalante. Le film sort le 14 janvier 1998 dans un seul cinéma à Paris : Les trois Luxembourg. Le succès public est réduit, 5800 entrées, mais le film recueille de nombreux échos positifs dans la presse. "Omelette est sortie à la mi-janvier alors qu'il était déjà un film-culte dans les milieux d'avant-garde" écrit Jean-Paul Combe dans Bref en octobre 1998. Celui-ci n'hésite pas à qualifier la sortie du film comme "l'événement de la décennie." Certains mettent l'accent sur l'originalité du procédé : "le premier coming out en direct de l'histoire du cinéma." (Olivier Séguret, Cosmopolitan, février 1998). Si la majorité des observations portent sur les qualités d'émotion du film (Télérama, Studio magazine parlent d' "un film poignant"), certains saluent la distance critique et l'intelligence de la mise en forme. J'en suis flatté. Les Inrockuptibles insistent sur la construction dramatique, la rapprochement de celle du cinéma narratif classique. Ciné-Live parle d'un "petit bijou d'intelligence." Je suis invité pour parler de mon film sur les plateaux télé. D'abord sur France 2 le 28 janvier 1998 dans le Cercle du cinéma, puis sur Canal+ le 17 février 1998 dans la mythique émission Nulle part ailleurs. A cette occasion, le présentateur Alexandre Devoise n'hésite pas à rappeler que "les propos de Rémi Lange ont été appréciés et relayés par la presse"...
Après la sortie d'Omelette, dopé par cette reconnaissance de la part de la critique, je commence l'écriture d'un scénario, Comment faire un enfant à Françoise Létoile, qui doit être la suite de mes deux premiers longs... Un faux journal intime. Deux jeunes hommes, dont un qui filme tout ce qui lui arrive, vivent ensemble. Celui qui réalise un journal filmé désire trouver une femme pour faire un enfant. La difficulté est alors de trouver une femme qui accepte à la fois d'être filmée et de faire le bébé en même temps. Le couple s'adresse à une comédienne connue du grand public, qui accepte à condition que le film soit tourné en 35 mm... J'envoie le scénario à la chanteuse Lio qui, aussitôt après l'avoir lu dans un train, s'empresse de m'appeler pour lui annoncer qu'elle désire incarner le rôle principal... L'histoire est réadaptée en fonction de la personnalité de la chanteuse et son titre devient Comment faire un enfant à Lio. Le texte reçoit le prix Emergence-Université d'été du cinéma, ce qui me permet de réaliser deux maquettes d'une séquence, et, comme j'incarne mon propre rôle, de jouer avec Julie Depardieu et Lyes Salem.
En janvier 1999, j'apprends que Nicolas Boukhrief de Canal Plus veux diffuser Omelette dans son "Ciné-club". Le 19 avril 1999, lors de la première télédiffusion télé, Nicolas est très très enthousiaste... "Un premier film qui ne ressemble en rien aux premiers films sortis ces dernières années en France. Et pour cause.... Tourné en Super 8 avec le plus petit budget qu'on puisse imaginer, Omelette nous rappelle que le cinéma est affaire d'idées avant d'être affaire de moyens. Rémi Lange se débrouille pour qu'il y ait un rebondissement à peu près tous les quarts d'heure. C'est très encourageant pour ceux d'entre vous qui rêvent de mise en scène. C'est que Rémi Lange nous démontre que, bien avant les vidéastes de la bande de Lars von Trier, quel que soit le support le format ou le budget, le style est avant tout affaire de passage à l'acte. Celui de Rémi Lange me paraît réussi et original." Après cette télédiffusion, la commission cinéma du Centre Pompidou décida d'acheter Omelette qui entra alors dans la collection permanente du Musée national d'art moderne.
Grâce à l'argent obtenu grâce aux différentes diffusions de mon premier long, je m'équipe du matériel nécessaire à la réalisation de films en numérique. J'achète donc une caméra mini DV, désirant retrouver la liberté de créée perdue avec la disparition de la Super 8 sonore en 1997. Le premier projet que je veux réaliser est un film sur l'homosexualité maghrébine. Je prévois de mélanger une histoire d'amour fictive à des séquences documentaires et de véritables interviews d'homosexuels maghrébins et des images d'archives. Le rôle principal est écrit en fonction de la personnalité de Halim, un jeune algérien que j'ai rencontré sur un lieu de drague homo près de Stalingrad... Je commence par réaliser une longue interview de Halim mais très rapidement celui-ci me fait comprendre qu'il ne désire pas continuer à cause des répercussions que le film pourrait avoir sur sa vie privée. Le projet reste en suspens jusqu'au jour où je rencontre Karim à une soirée dance beur et gay près de la place Clichy... Comme le garçon danse d'une façon très sensuelle, je décèle en lui tous les atoûts devenir un bon comédien. Karim, après avoir vu Omelette et Les yeux brouillés, accepte de jouer. Je m'empresse de réécrire mon projet en fonction de la personnalité du danseur. Un simple texte de trois pages alors intitulé Karim et les garçons sert de base au tournage qui commence fin mai 1999. J'aménage des plages de travail en fonction de l'emploi du temps de mes acteurs non-professionnels, tous occupés à des emplois divers et variés. En faisant le film, je réalise ma première fiction, mon premier film non autobiographique. Pour moi, c'est un essai : je veux apprendre à mettre en scène tout en laissant une grande place à l'improvisation ludique. Mon but est de réaliser, un peu comme Omelette, un film militant : en 1999, l'homosexualité est encore un véritable problème aussi bien au Maghreb que dans les banlieues françaises. Mais j'essaie déviter le didactisme. Le but est aussi de me faire plaisir en faisant du cinéma, raconter une belle histoire d'amour en présence de comédiens que j' aime bien et que je trouve beaux, drôles et intelligents ! Le tournage se termine en juillet 1999... En août, je commence le montage des vingt heures de rushes avec Antoine... Très vite, il s'agit de reconstruire mon histoire d'origine en fonction des moments que m'ont offerts les comédiens... Certaines scènes sont incompréhensibles, je demande alors à Karim de repasser devant ma caméra au mois de septembre 1999. C'est à cette période-là qu'ont été enregistrées de nombreuses voix off... dont la plupart ont été abandonnés dans le montage final ! Début octobre, armés de nouvelles munitions, Antoine et moi reprenons le montage, très vite interrompu par une bonne nouvelle : Les yeux brouillés vient d'obtenir une aide au gonflage en 35 mm. Après la post-production de ce film et sa sortie en juin 2000, nous reprenons le montage de Karim et les garçons. Après plusieurs versions (de deux heures dix et 1h37), le montage définitif est enfin terminé début octobre 2001. Il s'appelle désormais Tarik el hob (le chemin de l'amour). Le film est projeté dans la plupart des festival de films LGBT européens mais aussi au Brésil, au Canada, en Australie, en Nouvelle-Zélande, en Inde... Remarqué par le New York Times, Tarik El Hob reçoit en 2003 le Freedom Howard au festival Outfest de Los Angeles, le prix du meilleur long-métrage à Seattle... Le film a ensuite la chance de connaître une sortie salle à New York puis en DVD en France en juin 2003. En 2004, il sort en Allemagne en DVD sous le titre Strasse der Liebe et aux USA, en DVD également, sous le titre The road to love.
En 2001 je participe au tournage, en tant que chef opérateur du film de Sophie Blondy, L'homme que j'attends. Sophie connait Rémi depuis 1991. Elle vient de sortir un film en salle Elle et lui au 14e étage avec Guillaume Depardieu... Comme elle désespère de ne pouvoir trouver l'homme de sa vie, Rémi lui propose d'en faire un film. Pendant plusieurs mois, je la asuis avec ma caméra min-DV... jusqu'en Tunisie...
Après le tournage de ce film, j'apprends une mauvaise nouvelle : le scénario Comment faire un enfant à Lio a essuyé le refus de la commission plénière du CNC, malgré ses prix (Aide à l'écriture de la Fondation Beaumarchais, aide à la réécriture de la région Franche-Comté). De plus, la production qui a acheté les droits du scénario veut transformer la fin amère de l'histoire happy end... Je me sens dépossédé, pris au piège d'un cinéma trop commercial, trop américanisé à mes yeux.
Un jour, ayant repris mes esprits, j'appelle Annie Alba, une amie de sa mère qui vit à Aix-en-Provence, avec laquelle il a sympathisé. Annie est une femme très forte qui souffre de son physique mais qui, à table, lors des repas bien arrosés, fait rire tout le monde. Un vrai big woman show à elle toute seule... Je lui propose d'incarner le rôle d'une tueuse psychopathe. Je la préviens d'emblée que je tournerai en dérision son physique ingrat aux yeux de beaucoup de gens. Annie accepte, à ma grande joie ! Je me mets immédiatement à écrire quelques lignes pour guise de scénario... Je me dis alors que j'ai perdu beaucoup de temps à essayer de faire du cinéma en 35 mm, qu'il faut rattraper ce temps perdu en faisant au plus vite un nouveau film en numérique. Maintenant je ne veux plus me prendre la tête en essayant de faire des films en 35 millimètres que je ne contrôle pas. Je n'ai plus qu'un seul mot d'ordre : le plaisir. Mon objectif : allier le ludique à l'humour pendant le travail. Abandonnant définitivement ma carrière de réalisateur, je veux m'amuser avec mes amis en faisant du "cinéma bis", fauché mais libre ! Ma nouvelle ambition : devenir le "Ed Wood queer du cinéma français" ! Pour commencer, je vais faire un pastiche de film d'horreur, réalisant ainsi le film que j'aurais aimé faire adolescent, quand j'étais fan d'effets spéciaux... Mai 2001. Le tournage de Mes parents qui se déroule sur deux jours dans la vieille maison provençale où habite ma mère est son nouveau mari Maurice se passe à merveille. Le mari de la grosse tueuse est joué par Francis, un ami de ma mère qui n'a pas non plus un physique facile au regard des considérations esthétiques de notre société. Les ombres bienveillantes de Cronenberg et David Lynch planent sur la maison. Le film au début est un court-métrage que je teste en le projetant à mes amis et mes proches. Les réactions étant on ne peut plus positives (les gens sont dégoûtés par la noirceur qui se dégage de la relation entre les personnages), je décide de continuer l'histoire et le tournage reprend au mois d'août 2001. C'est Antoine, qui connaît bien Annie, qui incarne le rôle du deuxième amant de l'ogresse tueuse ! Le long-métrage Mes parents d'une heure 37 est terminé en janvier 2002 pour l'ouverture du 10ème Festival Désirs désir de Tours qui en fait son coup de cœur : "un film-choc. Rémi Lange pastiche les films d'horreur pour notre plus grand plaisir" écrit l'écrivain Abdellah Taïa qui travaille alors pour ce festival. Le magazine Ciné Live apprécie mon nouveau film : "Mes parents ne ressemble à rien. Film libre, naviguant à vue entre émotion réelle et trash provençal, ce qui en fait précisément le sel et le prix." Le festival de films LGBT de Paris présente Mes parents et dans son catalogue affirme que je suis une sorte de "David Lynch provençal." Le site Têtu écrit en décembre 2002 : "Rémi revisite de manière on ne peut plus subversive le thème de la famille." Les réactions sont donc plutôt positives même si certains émettent des réserves : "on a été servi côté trash par le dernier-né de Rémi Lange. Mes parents est une pure fantaisie gore. Néanmoins, il y a là suffisamment de folie queer pour amuser." (Illico, 28 novembre 2012). Après avoir reçu le Prix Comtesse des Flandres au festival Question de genre à Lille en novembre 2002, le film reçoit à nouveau de bonnes critiques... "Un film ultra-naturaliste limite gênant mais jouissif. Porté de bout-en-bout par des comédiens étonnants, Mes parents ravira les fans du genre et démontre en passant que l'on peut faire aussi du Troma à la française sans rougir de comparaison avec le cousin américain." (Pref).
En décembre 2002, Joëlle Matos de Canal Plus me propose de réaliser un court-métrage dans le cadre de l'émission Galaxy Gay 3000. Ce sera L'invasion des pholades géantes, un petit portrait cynique du milieu gay en forme de documentaire animalier pseudo-scientifique. C'est Antoine qui en a eu l'idée en découvrant la pholade dactyle, un petit mollusque au siphon polysensoriel qui vit dans les trous !
Fin 2002, je rencontre Madame H au festival de films gays et lesbiens de Paris. Coup de foudre réciproque. Madame H a adoré Mes parents. Elle a d'ailleurs écrit dans Illico, au moment des premières projections : "Mes parents me fait presque jouir. C'est délicieusement gore et anti-famille, ça fait mal et c'est bon !". Elle me propose de coréaliser un film. J'accepte, impliquant encore Antoine dans la création du film, cette fois-ci en tant qu'acteur... Le tournage commence en juillet 2004 et s'achève en septembre 2004. Mais je ne peux entreprendre le montage immédiatement...
En effet, je suis accaparé par la création de ma société Les films de l'ange en avril 2004 afin de faire exister mes propres film et d'être débarrassé de tout producteur véreux. Je dédie cette socité à la diffusion de films numériques comme les miens, ceux qui ne peuvent connaître une sortie dans les salles de cinéma... Je crée le label Homovies pour diffuser des films queer home made et j'achète les droits de films comme Le zizi de Billy de Spencer Schilly, Anonymous de Todd Verow. Ma première sortie DVD est celle du DVD Mes parents en décembre 2004, un film que tous les éditeurs avaient refusé. Pas assez commercial et pas assez beau sûrement.
Le moyen métrage que j'ai tourné avec Madame H, intitulé The sex of Madame H sort en DVD en octobre 2005. Les rares journalistes qui le voient (ceux qui s'intéressent aux films inédits en salles, qui sortent directement en dvd) sont plutôt enthousiastes. "Via une narration archiburlesque, le message de la pasionaria passe très clairement : 'le sexe c'est l'imagination. Votre corps est révolutionnaire." (Olivier Nicklaus, Les Inrockuptibles N°515, du 12 au 18 octobre 2005). "Rémi lange n'a pas fini de nous surprendre. Il nous invite à un voyage fou et onirique entre son univers et celui de Madame H, tous les deux aussi singuliers. Rémi Lange nous plonge dans un monde psychédélique, sexuel et cru pour un film bourré d'idées et jubilatoire du début à la fin. Et si le sexe n'était qu'un concept spirtuel ? La réponse dans ce DVD à découvrir de toute urgence". (GUS N°27, DEC. 2005).
En juin 2005, Alain Burosse réalise pour la nuit gay de Canal + Artix, une émission dédiée à la relation entre le cinéma x et l'art. Il propose à certains cinéaste gay de réaliser un tout petit film porno. Je fais partie de sa liste. Avec un ami chanteur, Weldez, je concocte un clip qui sera un remake trash de la scène cake d'amour de Peau d'âne. Le film et la chanson s'intitulent Cake au sirop de cordom J'y fais jouer Antoine avec Ilmann Bel, un beau jeune homme que j'ai rencontré sur le net et qui m'avait déclaré son animation pour Taril ek hob. Après la diffusion du film en octobre 2005 sur Canal Plus , je décide d'éditer un DVD qui ne comprends qu'un film de 3 minutes, une première dans l'histoire de l'édition DVD. Le DVD vendus à un prix très bas, 5 euros, est vite épuisé...
En juillet 2005, je participe aux UEEH de Marseille où j'organise avec Madame H Le festival de connes autour de la première diffusion publique de The sex of madame h. Participent à ce festoval des figures du cinéma underground LGBT français : Pascale Ourbih, Tom de Pékin, farrah Diod, et aussi de nombreuses personnes inscrites au UEEH... Parmi les apprentis comédiens, je fais la connaissance d'un jeune chanteur, Jann Alexander. S'inspirant de ses compositions au piano début 20ème siècle, je propose à Jann de réaliser un film muet, avec des cartons à la place des dialogues, un jeu d'acteur outrancier comme au début du cinéma, mais avec des thèmes contemporain que le cinéma muet n'aurais jamais pu aborder à l'époque, comme la masturbation. En janvier 2006, je réunis à nouveau Ilmann Bel et Antoine Parlebas devant ma caméra. C'est lors de ce tournage que je rencontre Guillaume Quashie-Vauclin, un jeune dont Ilman m'a fait l'éloge. Le film Statross le magnifique sort en DVD en juin 2006. En avril 2005, au Printemps des associationsLGBT de Paris, je fais la connaissance d'Hervé Chenais, le président de l'association AGLH, homosexualité et handicap. Hervé est né avec des moignons à la place des membres. Je lui propose de faire un film qui serait également une sorte de portrait de ce qu'il vit au quotidien. Je lui demande d'écrire un scénario. En attendant son texte, je décide de tourner un film avec mon amie Sophie Blondy qui elle aussi a une forme de handicap : un goitre thyroïdien. Le film s'intitule justement Thyroïd. Je filme Sophie en train de branler sa protubérance. L'idée est de montrer que toute partie du corps, aussi insolite soit-elle, peut être source de plaisir... Une idée que je vais développer avec les moignons d'Hervé dans Devotee, un film que je commence à tourner en septembre 2007. A peine sorti en DVD en France, en juin 2008, le douxième film de Remi est sélectionné au festival gay de New York et de Los Angeles. Ce n'est que le début d'un film qui va marquer les esprits...
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